De jeunes Plumes nous adressent « la correspondance fictive de deux Poilus »

Trois élèves de Seconde du lycée Clemenceau, Laure C., Théa B. et Mathis A.-L., répondant  favorablement à la suggestion d’un travail d’écriture sur le thème du « lycée de Nantes dans la Première Guerre mondiale », proposé par leur professeur de Lettres, Maryse Engrand, nous adressent la correspondance fictive de deux Poilus, anciens élèves du lycée. Leur professeur souligne que « les jeunes auteurs ont mis leur invention et leur affectivité au service de destins a priori bien loin d’eux, mais qu’ils se sont appropriés par l’écriture. »  Cette « expérience stimulante » est, nous l’espérons, le premier d’une longue série de travaux de jeunes Plumes des deux lycées …

 

Introduction

Le projet que nous avons choisi parmi les différents projets proposés est une correspondance fictive de soldats identifiés dans le cadre des recherches que nous avions entreprises au sein du projet pour le centenaire. Cette forme de travail nous paraissait la meilleure pour exprimer librement et pleinement nos pensées et nos idées sur le sujet, et nous trouvions intéressant de nous mettre dans la peau de soldats, écrivant à leurs proches, durant la guerre.

La première idée qui nous a tous plu était de mettre en place une correspondance entre deux soldats qui s’étaient connus avant la guerre et qui se retrouveraient sur un champ de bataille. Pour cela il nous fallait faire des recherches parmi les différents soldats afin d’en trouver deux de différents régiments qui se seraient trouvés dans la même bataille. Nous avons choisi celle de Verdun. Après ces recherches nous avons trouvé les personnages de Pierre Provost et Félix Carré.

Notre deuxième souhait était d’écrire des lettres aux différents proches de ces soldats pour pouvoir varier le contenu et la formulation de ces lettres en fonction du destinataire.

Enfin, avec ces nombreux éléments, nous sommes passés à l’écriture en gardant à l’esprit un bref scénario: deux soldats,qui se sont connus dans leur enfance puis se sont perdus de vue et se retrouvent durant la bataille de Verdun, pendant la première guerre mondiale.

Laure, Théa et Mathis

 

Le 4 octobre 1916

Cher père, chère mère,

Je vous écris pour vous dire qu’ici, en deuxième ligne, tout va bien. Il fait très beau et nous n’avons quasiment pas échangé de tir avec l’ennemi depuis ma dernière lettre. D’ailleurs en parlant de lettre je n’ai pas reçu la dernière que vous m’avez envoyée. J’aimerais bien que, ce mois-ci, vous m’envoyiez des chaussettes car, à force de marcher dans les tranchées, elles sont toutes usées. Merci d’avance. J’ai vraiment hâte que tout cela soit fini et de rentrer à la maison. Vous me manquez, surtout maman et sa tarte aux pommes parce que j’ai déjà mangé de meilleures choses que les rations qu’ils nous donnent.

Mais, ne vous en faites pas, je vais bien. Et même mieux que bien car j’ai retrouvé Pierre ! Vous savez Pierre Provost ? Mon ami d’enfance ! Nous nous sommes retrouvés dans le même régiment et cela m’a fait vraiment drôle de le revoir. Je me souviens que c’est lui qui m’a aidé à construire la cabane dans l’arbre au fond du jardin. Nous l’appelions « Le Fort ». Et la fois, où, au lycée de Nantes, nous avions été punis pour avoir manqué de trop nombreux cours de philosophie. Je ne me rappelle même plus combien d’aventures nous y avons eues. Je suis très heureux de le  retrouver même s’il ne m’a toujours pas expliqué pourquoi lui et sa famille étaient partis du jour au lendemain. Et vous, comment allez-vous ? Et la petite Claire fait-elle déjà ses dents ? Ecrivez-moi vite !

Votre fils adoré, Félix.

 P.S : J’espère que, cette fois, je recevrai bien votre colis, mes pieds ont froid.

 

Le 7 octobre 1916

Ma chère Jeanne,

J’espère que tout se passe bien chez toi, que tu es en bonne santé. Sache que je pense à toi tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes, toutes les secondes que je passe dans cette horrible tranchée. J’aimerais pouvoir passer du temps avec toi comme nous le faisions avant cette fichue guerre. Pouvoir continuer nos petites habitudes de la semaine comme le marché du samedi matin ou nos balades dans les jardins publics les mercredis soir. Oh oui, j’aimerais pouvoir retrouver tout cela au plus vite et je te promets que dès que je reviendrai, nous nous marierons !

Je n’en peux plus de cette guerre, ma Jeanne, j’ai le sentiment qu’elle dure depuis une éternité. J’ai fini par m’accoutumer  à ces odeurs de sang, aux bruits des obus et  des mitrailleuses et à la vue des cadavres. Mais au fond de moi j’aimerais que ce conflit inutile s’arrête, que les dirigeants comprennent qu’ils ne font que tuer des innocents. Mais cela semble apparemment peine perdue…

Ne t’inquiète pas pour autant , je suis passé en seconde ligne, il y a de ça maintenant une semaine et je pense y être encore pour un moment ; je vais pouvoir me reposer. Il fait, en plus, moins froid depuis quelque temps, il y a même du soleil, c’est agréable.

Je voulais aussi te dire que j’ai retrouvé mon ami d’enfance, Félix Carré, qui habite toujours à Nantes, il y a quelques jours. C’est avec lui que je m’étais  fait punir pour avoir de nombreuses fois louper les ennuyeux cours de philosophie, t’avais-je raconté ? C’est fou, tout de même, que je me sois retrouvé, là, à Verdun, en même temps que lui. J’ai redécouvert quelqu’un de drôle, d’optimiste, qui aime blaguer en toute circonstance, qui est jovial. Ça fait plaisir, tu sais, d’avoir ce genre d’ami avec soi en pleine guerre, ça remonte le moral ! Il faudra absolument que je te le présente, tu l’adorerais. Lui, semblerait ravi de te rencontrer depuis que je lui ai parlé de toi !

Je t’aurais bien plus écrit mais je suis exténué par ma longue journée et il se fait tard au moment où je griffonne ces quelques lignes . J’essayerai de t’envoyer plus de lettres dans les prochaines semaines.

Je t’embrasse mille et mille fois bien tendrement.

Ton Pierre qui t’aime.

Le 19 novembre 1916

 Mon bon Félix,

Cela m’a fait un immense plaisir de te revoir dans cette tranchée, je t’avoue que c’était bien le dernier endroit où j’aurais imaginé te rencontrer. Ta présence m’a rappelé de nombreux souvenirs de notre enfance. Te souviens-tu de notre « Fort » ? Dans cette lettre, je voulais te faire passer mes plus grandes excuses pour ne pas t’avoir prévenu de mon départ. J’en ai été le premier surpris, je t’assure. C’est mon capitaine qui me l’a annoncé mardi soir, j’ai été changé de régiment. Il paraîtrait qu’ils ont besoin de monde plus au Nord. Je dois t’avouer que j’étais bien heureux de quitter Verdun, ces sales tranchées boueuses ne me manqueront pas. Mon seul regret est de ne pas avoir pu rester plus longtemps avec toi, je te promets que nous nous reverrons dès que cette satanée guerre sera terminée . Je voulais te prévenir de mon départ mais mon nouveau capitaine ne m’en a pas donné l’autorisation, tu sais bien comment ils sont ! Je pense souvent à toi, te savoir toujours au front m’inquiète beaucoup, je prie pour qu’il ne t’arrive aucun malheur. Fais attention, mon frère !

Ne t’inquiète pas pour moi, je suis actuellement en chemin vers Amiens, sur une route sûre, à l’écart des combats. Je suis hors de danger pour le moment et ne crains rien.

Porte-toi bien. Je t’envoie toute mon amitié fraternelle. Tiens-moi au courant.

 Ton ami Pierre  PROVOST

Le 3  décembre 1916

A mon fidèle ami Pierre PROVOST,

Mon ami, ne t’inquiète de rien. Pour ton départ un soldat de  mon ancien régiment s’est chargé de m’en avertir. Je te confie mon désarroi et ma détresse de te voir partir, j’aurais tellement voulu poursuivre ses retrouvailles plus longtemps avec toi. Ta présence à mes côtés me donnait, il est vrai, du courage dans les moments difficiles de cette guerre. A présent, même si je tente de blaguer, la peur est là sur le champ de bataille. Mais cela me rassure de te savoir en sécurité , loin des combats. J’espère que tu te portes bien et que ces longues journées de marche n’ont pas été trop difficiles pour toi. Tiens-moi au courant de ta situation.

Il faut que je te prévienne d’une nouvelle peu rassurante. Voila quatre jours que je suis monté en  première ligne, et les conditions y sont de plus en plus difficiles. Il y a deux jours nous nous sommes faits surprendre par un jet de gaz lors d’une offensive allemande, j’ai manqué y laisser la vie . J’ai par un grand miracle, réussi à enfiler mon masque avant que le gaz n’arrive à m’atteindre. Malheureusement, bon nombre de mes compagnons n’ont pas eu cette chance et ont péri dans cette attaque meurtrière.

Je sais que cela ne va pas beaucoup te rassurer, mais pour une fois je voulais vraiment raconter ce qu’il se passe là où je suis.

J’espère te revoir bientôt et en bonne santé !

Félix Carré

Le 17  janvier 1917

Ma chère Jeanne,

J’espère que tu te portes bien, que les réquisitions ne te posent pas trop de problèmes. Tu peux aller voir mon oncle si tu veux, je lui ai parlé de toi, il pourra t’aider.

Merci de m’avoir prévenue pour Martin Vacaresses. J’ai été heureux d’apprendre qu’il va mieux, qu’il n’est  pas mort de ses blessures. Dis-lui, quand tu le reverras, que je pense à lui et que je le soutiens.

J’ai une bonne nouvelle, ma Jeannette, je vais peut-être pouvoir avoir une permission de deux semaines ! Tu te rends compte, c’est fantastique ! J’ai essayé d’obtenir une permission pour pouvoir retourner à Angers dans quelques mois. Ce n’est pas encore sûr, mais je te préciserai tout cela quand je saurai . Nous allons pouvoir nous marier, comme je te l’avais promis ! Nous inviterons toute ta famille, nous ferons une grande fête, ce sera merveilleux !

Par contre, je suis inquiet pour Félix. Tu sais, mon ami d’enfance dont je t’ai parlé dans quelques lettres. Eh bien, il est resté à Verdun lui, et il est passé en première ligne. Il m’a raconté l’atrocité des combats qui se sont déroulés, c’est horrible, il a failli mourir à cause d’une attaque de gaz et il a vu certains de ses compagnons suffoquer et succomber à l’offensive. Je ne reçois plus de lettres de lui depuis un mois, je m’inquiète peut-être un peu trop mais je ne pressens rien de bon…

Mais tu n’as pas à t’inquiéter pour moi, à Amiens, je suis en sécurité. Il a recommencé un peu à pleuvoir, mais il y a une bonne ambiance entre mes camarades tirailleurs.

Ma Jeannette, je mets mes bras autour de ton cou, et je m’endors, nos lèvres unies.

Ton ¨Pierre à qui tu manques atrocement.

Le 20 janvier 1917

Cher père, chère mère,

Comme vous me manquez. Les nouvelles que je vous apporte ne sont pas aussi bonnes que dans mes dernières lettres car je me trouve en ce moment à l’hôpital du front. En effet, j’ai été blessé il y a quelques semaines lorsque mon régiment et moi sommes montés en première ligne. Nous avions mené une offensive dans la matinée et nous nous reposions dans nos tranchées quand les Allemands ont lancé une contre-offensive à laquelle nous n’étions pas préparés, de nombreux obus ont été tirés. Mes compagnons et moi avons été surpris et  avons pris peur.

Dans la précipitation, chacun essayant de fuir, j’ai été poussé dans les barbelés. J’ai essayé de m’en détacher, mais je ne faisais qu’aggraver les choses. J’ai alors arrêté de me débattre et, quelques secondes après, un obus a éclaté à une dizaine de mètres de moi. J’ai alors ressenti un choc  et j’ai perdu connaissance. Puis je me suis réveillé, ici, à l’hôpital, une douleur atroce à la poitrine.

Ne vous inquiétez pas pour moi, mes blessures guérissent bien, c’est le docteur qui le dit ! Malgré tout, je me sens un peu plus faible depuis quelques jours, j’ai quelques maux de tête et j’ai souvent chaud, j’ai dû attrapé quelque chose ici car il y a de nombreux malades. Mais ma chance m’a permis d’échapper à de très graves blessures alors je ne me fais pas de soucis. Je vous promets de venir vous voir dès que le docteur me donnera l’autorisation de sortir.

 Je pense à vous et vous embrasse,

votre fils Félix CARRE

Le 26 février 1917

Cher père, chère mère

Comme je vous l’ai appris dans mes précédentes lettres, ma blessure met du temps à guérir, mais ne s’aggrave pas !

Hélas, durant mon séjour à l’hôpital j’ai contracté le typhus. Cette maladie m’affaiblit de plus en plus et j’en suis venu à demander à une infirmière d’écrire cette lettre pour moi (d’où le changement d’écriture). J’ai beaucoup de fièvre et d’horrible maux de tête à longueur de journée. J’espère ne pas avoir à ajouter un nom de plus à la liste des morts de cette guerre ! L’idée de rejoindre mes compagnons disparus me déplaît fortement mais j’ai, quelquefois, bien peur de ne pas avoir le choix…

Mes chers parents, si par le plus grand des malheurs, vous ne recevez plus de lettres de moi pendant un certain temps, pourrez- vous prévenir mon ami Pierre Provost, dont je vous avais parlé dans certaines de mes lettres, de ma condition.

 Au revoir père, mère

 Votre fils Félix qui vous aime

Le 10 mars 1917

 Mon cher Félix Carré,

Donne-moi de tes nouvelles ! Voilà déjà de nombreux mois que je ne reçois plus aucune lettre de toi alors que de mon côté je fais un effort pour t’en envoyer le plus souvent possible. Je sais qu’il y a de nombreux problèmes d’acheminement des courriers mais tout de même ! Ta dernière lettre m’annonçant que tu étais monté en première ligne me reste atrocement en tête et me fait penser les pires choses. Certains soldats nous apportent des nouvelles de Verdun et je crains à chaque fois d’entendre ton nom dans la liste des derniers morts. S’il te plaît écris-moi, rien qu’une ligne que je sache que tu es toujours vivant, toujours là avec moi dans cette guerre… Si toi aussi tu meurs, je ne sais pas si je pourrai tenir.

Et cette guerre qui dure depuis si longtemps, finira-t-elle un jour ? je ne sais pas, je ne sais plus, je perds espoir. Je suis retourné dans les tranchées et je ne m’habitue toujours pas à leur horreur. A chaque assaut mes compagnons tombent, s’écroulent dans la boue, abattus par une balle de fusil ou par un éclat d’obus. Quand j’y repense, je me demande comment j’ai fait pour survivre jusqu’ici. Et dans les heures les plus sombres, il m’arrive de me demander s’il ne serait pas plus simple de mourir, de quitter la noirceur de ces tranchées boueuses, ces cadavres, cette guerre. Penses-tu qu’ils sont plus heureux là-haut que nous ici ? Je le leur souhaite.

Malgré tout, j’ai reçu une excellente nouvelle, cette dernière semaine, qui me réjouit beaucoup et que je voulais t’annoncer. J’ai obtenu une permission de mon capitaine, je vais pouvoir retourner auprès de ma douce, dans notre petite ville et nous allons nous marier. Je le lui ai promis. Comme j’aurais souhaité pouvoir t’y inviter.

Au revoir cher ami

Ton fidèle ami Pierre.

P.S : j’espère recevoir bientôt de tes nouvelles.

 

Le 2 avril 1917

Félix,

Nom de Dieu, mon ami, tu pourrais répondre quand je t’envoie une lettre, ce n’est pas les vingt minutes d’attention que tu m’accorderas qui te feront tuer.

Parlons sérieusement, je suis très inquiet pour toi, si tu ne réponds pas à mes messages, c ‘est qu’il t’est sûrement arrivé quelque chose de grave. Et moi je suis là-bas, dans mon bataillon, me préoccupant de toi ! J’espère vraiment que tu n’es qu’un très mauvais ami qui aime voir trembler les autres, et qu’il ne t’est arrivé aucune mésaventure !

 Ton ami Pierre qui est, comme tu l’as remarqué, inquiet pour toi.

Le 27 avril 1917

Soldat Pierre Provost,

Cela fait plusieurs semaines que j’essaye de trouver un moyen de vous joindre. Je suis une des infirmières qui s’occupaient de votre ami le Capitaine Félix Carré. C’est moi qui ai réceptionné toutes les lettres que vous lui aviez envoyées. Il n’a pas pu les lire car il a été touché par des éclats d’obus et comme nombre de malades il a été victime d’une infection grave, le typhus. Il est décédé deux mois plus tard à l’hôpital. Je suis vraiment désolée pour la perte que ce deuil représente pour vous, mais sachez que je suis allée sur sa tombe, lui lire chacune de vos lettres. Je tenais à vous prévenir car je suis mobilisée ailleurs et vous n’aviez pas l’air d’avoir été mis au courant de son décès.

 Toutes mes condoléances.

 Infirmière Bérénice Durois.