Le 8 janvier dernier, présentant la mort de Jacques Vaché et de son compagnon Paul Bonnet, le journaliste du Populaire introduisait ainsi son article :
« Un drame bien spécial vient de plonger dans le deuil deux honorables familles ; il s’agit encore de ce vice qui consiste à fumer de l’opium et que la loi poursuit avec rigueur et elle a raison. Il y a plusieurs mois, il s’agissait de réunions cachées dans une chambre de la rue de la Marne ; là on vendait et on absorbait de la cocaïne et autres stupéfiants ; on y assistait aussi à des soirées plutôt gaies, le champagne et les femmes ne manquaient point.
Cette fois, l’affaire est tout autre, dans une chambre d’hôtel… ».
Le journaliste fait allusion au démantèlement d’un trafic de stupéfiants qui eut lieu en septembre 1918. Aujourd’hui, Le Phare relate le procès, qui s’est tenu hier au tribunal correctionnel, des personnes inculpées dans cette affaire, sous le titre : « Le trafic des stupéfiants »
« Le principal inculpé… était un infirmier de la 11e section, nommé Prosper Nozay… employé de commerce à Paris avant la mobilisation. Cet individu avait à Nantes un « pied à terre » au n° 13 de la rue de la Marne : il recevait là des hommes, des femmes, des soldats français et alliés. Tout ce monde sablait le champagne, fumait abondamment… et abusait dans une proportion égale de stupéfiants. On découvrit chez Nozay, à côté du champagne et de tabacs variés, 25 kilos de cocaïne… ».
Nozay étant soldat, son cas est renvoyé au conseil de guerre de la 11e région. Ses comparses qui paraissent devant le tribunal correctionnel sont : un préparateur en pharmacie âgé de 16 ans qui avoue avoir dérobé à son patron quelques doses de stupéfiants ; un employé de pharmacie d’Audierne, âgé de 19 ans, coupable des mêmes faits et deux autres prévenus de 19 et 22 ans qui se sont chargés d’écouler les produits.
Lors de son procès devant le conseil de guerre, le 21 février prochain, Nozay avouera qu’une partie des stupéfiants découverts chez lui (cocaïne, morphine, opium, granules de digitaline pure…) provenait de l’infirmerie du 65e RI où il les avait dérobés. Il sera condamné à 3 ans de prison (Il n’en fera qu’un). Ses comparses avaient, eux écopés de 4 à 6 mois de prison un mois plus tôt.
Selon Le Populaire, cette affaire avait été découverte suite à une enquête d’un inspecteur de police, débutée en août 1918, après que le ministère de l’Intérieur se soit inquiété d’une recrudescence du trafic de stupéfiants à Nantes. Trafic qui continuait puisque, toujours à Nantes, le 24 janvier, le conseil de guerre de la 11e région condamnait un soldat du génie pour vente d’opium et de morphine.
Les jeunes bourgeois nantais n’ont pas attendu la guerre pour goûter aux paradis artificiels mais ils s’y sont réfugiés plus souvent pendant le conflit. Pour supporter le quotidien difficile, parfois mesquin, de la tranchée, pour échapper à ce mauvais rêve, la guerre, les poilus ont cherché un « consolant exil » comme l’écrit le poète Roger Allard au peintre et graveur Jean-Emile Laboureur. Certains l’ont trouvé dans l’écriture, d’autres dans l’alcool (le « pinard » et la « gnole »), et, pour ceux qui en avaient les moyens, dans l’opium.