Au soir d’une journée marquée par des attaques répétées (bombardement, fusillade, corps à corps…), Louis Vuillemin, compositeur dans le civil, agent de liaison sur le front d’Argonne, ancien élève du Lycée de Nantes, note dans son Carnet :
« L’action a gagné tout le front. Le vacarme est épouvantable. Fusées et projecteurs trouent la nuit incroyablement noire. On entend les hurlements des troupes qui se défendent à l’arme blanche. Quelles peuplades nègres sont aux prises ? Décor de misère et d’horreur !
Et c’est Noël tout à l’heure ! Noël !
Petit nom joli, si doux, si tendre, chantant comme un poème, mélodieux comme une symphonie, fête des hommes, joie du foyer, de quel abominable crime n’es-tu pas souillé cette nuit ! Christ ! Si tu étais Dieu, tu ne permettrais pas que les hommes s’entr’égorgent et blasphèment à coups de bombes le soir où tu naquis !
Nous avons soupé, cependant. Au champagne ! Sans gaieté. Le menu était prêt depuis longtemps, d’avance. On l’a mangé.
Et puis nous avons bu, sans chanter, sans rien dire. Chacun pensait aux chers êtres lointains. Un front de femme penché, soucieux, sous la lampe. Têtes blondes, joue à joue, paisibles au berceau.
Oh ! Quelle misère !
Et nul n’a parlé. Car il aurait pleuré. »