Conscients que la mort les guette à chaque instant, certains soldats rédigent, dès les premiers mois de la guerre, une lettre-testament à envoyer à leur famille au cas où. D’autres, avant de repartir en premières lignes pour une offensive pleine de périls, livrent le fond de leur pensée et de leur cœur dans une lettre qui, peut être, sera la dernière.
Nous avons publié celle de Léon Jost (rubrique du 1e juin) écrite avant l’offensive d’Artois.
Voici celle que Jacques Vaché envoie à son ami et ancien camarade du Lycée de Nantes, Jean Sarment, alors que se prépare déjà l’offensive de Champagne :
Cher Jean
Je t’écris pour te dire une nouvelle contrariante : c’est que peut-être le hasard, dont une des fonctions est d’être indifférent, ne nous permettra pas de poursuivre tous ces bons projets que nous avions.
Je pars ce soir pour l’endroit le plus stupide de la grande bataille, d’où peu reviennent. Je vais aller à la tranchée fleurie du nom de « tranchée des cadavres », surnom qui en dit long pour celui qui connaît le manque d’imagination de tous ces gens-là.
Je ne voudrais pas donner à cette lettre une ligne solennelle d’un monument funèbre ; ni subir le ridicule d’un « dernier adieu » manqué. Mais enfin, pour ne rien te cacher, à toi, mon cher vieux Jean, le seul à peu près qui a compris les choses, je dois te dire que cela va mal.
Je suis à deux kilomètres de la ligne de feu, derrière la tranchée des cadavres et le bois de la tuerie (près du « Bois-le-prêtre » que tu pourras connaître par les communiqués). Nous devons entrer en ligne ce soir pour une grande poussée, je suppose. Et il faut avoir vu cet enfer de feu pour comprendre sainement et avec sang froid ce qui sera un grand effort à l’endroit où nous sommes. Il faut compter à cette tranchée funèbre 70% de pertes. C’est le pourcentage prévu au-delà duquel l’honneur est sauvé sur ce point-là.
Ne te désespère pas, mon vieux Jean, j’espère peut-être être des survivants, et des survivants sains d’esprit, car cela est navrant, beaucoup reviennent aussi de là l’esprit tué. En tout cas, aussitôt après l’échauffourée, je t’écrirai, ou on t’écrira. Si je dois y rester, tu feras un tri des choses que je t’ai confiées….
Je te donne une poignée de main pleine de choses. Et pourquoi, pourquoi ?…
Je t’écris avec le flegme mais je ne peux m’empêcher de regretter une foule de choses mortes et de choses à venir.
Ton vieux.
Note : Dans cette lettre, Jacques Vaché fait quelques confusions sur les lieux. Il se trouve non pas à Bois-Le Prêtre mais, loin de là, à Le Mesnil-Lès-Hurlus, en Champagne, où existe un bois dit « de la Truie ». Tout le printemps 1915, ce secteur a été très disputé et des combats acharnés s’y sont déroulés qui vont bientôt reprendre.