jeudi, 9 mars 1916

« Le corps d’armée vient de passer au laminoir »

Retour de permission, Maurice Digo arrive à Verdun pour y retrouver son régiment.

 

Il note dans ses Carnets :

« A pleines routes, dans l’encombrement des convois, fuient les habitants des villages bombardés. Pagaille, embouteillages, voitures embourbées.

Les crêtes fortifiées tonnent de toutes leurs batteries. Comme nous arrivons à Verdun, une rafale de gros calibre s’écrase sur les bas quartiers, en bordure de Meuse, abattant d’un seul coup d’énormes pans de murs.

Rejoint le Régiment dans les casernes d’aviation. Stupeur de constater que cette poignée de soldats, affalés dans leur carapace de boue, représente tout ce qui reste du 146e.

Tous les camarades sont tués ou blessés, mon escouade ne compte plus qu’un seul homme. Ayant fait le tour des litières, je retrouve Dupas, seul survivant du groupe de Bertrichamps. Gustave Drouet est tué, Famy également. Robert et Dandignac blessés. Cibier est devenu fou.

Les compagnies parties avec 185-190 hommes en ramènent : la 9e : 28 ; la 12e :17. Le capitaine Cochin est blessé, tous les autres officiers tués…

Dupas me raconte le départ de Bertrichamps, les marches forcées… l’arrivée sur le champ de bataille sous un bombardement effrayant, l’écrasement des Territoriaux surpris par l’avalanche… sans abris, sans position de repli, sans réserve d’artillerie, la trouée Ornes-Douaumont, la première contre-attaque, par un froid rigoureux, des 9e, 12 et 4e compagnies déjà décimées, abruties par les fatigues de l’étape et les affres du bombardement, la perte des derniers cadres, l’amoncellement des cadavres sur la neige.

Et maintenant, on attend la relève ou bien le retour en ligne, car la bataille continue et le corps d’armée entier vient de passer au laminoir. »