Dans les convulsions de la guerre, le dégoût et la remise en cause des valeurs établies qu’elle provoque, beaucoup de poilus ne s’accrochent à la vie que par la présence, lointaine, de l’être aimé auquel les rattache le lien ténu du courrier.
Alphonse de Châteaubriant écrit à son épouse :
« J’ai reçu, hier, ta volumineuse lettre avec une grande joie. Dans ces moments pénibles, cruels pour tout le monde assurément, mais qui prennent leur plus grande portée tragique dans les esprits préoccupés de signification morale, une affection comme la tienne revêt toute son importance et devient quelque chose de divin sur terre. Au milieu de ce monde qui a rompu la loi de ses formes anciennes et n’est plus qu’une outre de tempête, au milieu de cet océan déchaîné, où la vague me bat affreusement, elle est la boucle de fer à laquelle je me cramponne de toutes mes forces.
Je regrette d’être tenu par le règlement de la correspondance militaire si étendu dans ses prohibitions. J’aurais bien des choses intéressantes à te dire, à te décrire. Malheureusement, ces choses on ne les écrit pas pour soi ».
Et plus loin il écrit, à propos de cet ennemi, si semblable :
« Nous enterrons du monde en ce moment, ce matin un Allemand dont nous avons mis de côté les pièces personnelles, une photographie entre autres de sa femme, une jolie femme à la figure passionnée, énergique et grave. Au bas se trouvaient écrits ces mots que je te traduis : « Pense à celle qui est tienne, et qui doit rester tienne jusque dans la mort » – Attendrons-nous donc pour arrêter tout ce sang, que le fleuve des larmes soit monté assez haut pour submerger nos passions homicides ! »